Les entreprises peinent à recruter dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre mondiale

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Publié le 2023-08-01 à 10:00 par Asaël Häzaq
Comment expliquer que des entreprises peinent à recruter malgré des pénuries de main-d'œuvre ? En France, en Allemagne ou au Royaume-Uni, ces difficultés de recrutement ralentissent le dynamisme du marché du travail et la croissance. Quel impact sur les projets d'expatriation ? Comment les professionnels étrangers peuvent-ils tirer parti de la situation ?

Croissance et pénuries de main-d'œuvre

La croissance européenne maintient la tête hors de l'eau. La France déjoue les pronostics (PIB à +0,5% au 2e trimestre), l'Espagne résiste (PIB à +0,4 % au 2e trimestre). Mais le navire allemand tangue. L'économie de la plus grande puissance européenne a stagné au 2e trimestre, et les menaces de récession planent toujours. Avec +6,4 % d'inflation, l'Allemagne reste plus durement touchée par la hausse des prix que ses voisins européens. L'inflation française est de 4,3 %, et de 2,3 % en Espagne. Les temps restent durs, alors qu'en parallèle, les pénuries de main-d'œuvre se poursuivent.

Aux États-Unis, au contraire, la croissance repart plus vite que prévu. +2 % au 2e trimestre, bien plus que les 1,3 % prévus. L'ombre de la récession s'estompe, même si la prudence reste de mise. L'embellie économique profite à la création d'emplois. Déjà, en avril, 296 000 postes avaient été créés dans le tertiaire, soit 2 fois plus que les prévisions. En parallèle, la hausse des salaires ralentit. La pénurie de main-d'œuvre les avait fait grimper, les entreprises y voyant un bon moyen de retenir leurs travailleurs. Mais augmenter les salaires ne suffit pas toujours à résoudre les problèmes de recrutement. Le Royaume-Uni, la Corée du Sud ou l'Australie font face à des pénuries de main-d'œuvre et des difficultés pour embaucher. Même situation en France, où le léger rebond économique ne comble pas le manque de main-d'œuvre. En Espagne aussi, les entreprises cherchent leurs travailleurs. Les jeunes diplômés allemands, eux, préfèrent quitter le pays pour s'expatrier dans des régions qu'ils jugent plus dynamiques.

Pourquoi les entreprises peinent-elles à recruter ?

C'est une situation paradoxale. Dans les pays frappés par des pénuries de main-d'œuvre, le taux de chômage n'enregistre pas forcément de baisse drastique, et les entreprises ont du mal à recruter. La France, par exemple, cumule chômage élevé (un peu plus de 3 millions de demandeurs d'emploi), emplois non pourvus (plus de 350 000 en avril) et difficultés de recrutement. D'autres pays connaissent des situations similaires.

Selon de nombreux analystes, c'est du côté des formations qu'il faut se tourner. Certes, l'on relève un « effet pandémie », mais la reprise économique a rendu cette cause moins forte que les autres. De plus, la crise sanitaire reste une cause « de court terme» tandis que le problème de formation, qui existait déjà avant la Covid, est d'ordre structurel. Durant la Covid, des travailleurs privés de travail (surtout dans les secteurs les plus exposés aux mesures anti-Covid) se sont reconvertis ailleurs et ne sont pas revenus après la réouverture des commerces et des restaurants.

Même si travailleurs sont là, leurs qualifications ne correspondent pas ou plus aux demandes des entreprises. Le dynamisme du marché du travail et les tensions qu'il génère ne justifient pas à eux seuls les difficultés qu'ont les entreprises pour embaucher. Elles sont nombreuses à soulever les problèmes de qualifications des candidats. Certains secteurs sont plus touchés que d'autres par le phénomène. La question du salaire pose aussi des problèmes, surtout dans les secteurs très compétitifs avec des conditions de travail difficiles. Les entreprises qui rémunèrent le moins sont en moyenne plus touchées par les difficultés de recrutement que les autres.

Allemagne, la fuite des cerveaux ?

L'Allemagne recherche justement une main-d'œuvre qualifiée. De plus en plus d'entreprises font part de leurs difficultés à recruter. Le problème s'est amplifié depuis la Covid, avec des secteurs encore plus sous tension. Dans la santé ou l'informatique, les travailleurs qualifiés manquent à l'appel. En 2022, l'Agence fédérale pour l'emploi (BA) comptabilise 845 000 postes vacants en moyenne. C'est un peu moins que les 139 000 emplois à pourvoir de l'année précédente, mais cela reste élevé. Outre la santé et l'informatique, les secteurs les plus concernés sont l'éducation, l'artisanat (en particulier, la rénovation énergétique), et les métiers scientifiques (ingénierie, mathématiques, etc.).

En Allemagne, 9,7 % des 18-24 ans quittent le système scolaire sans diplôme. Ils ne trouvent pas d'emploi et n'ont aucune formation. De nombreux jeunes s'orientent vers des études universitaires, plus longues, au détriment de l'apprentissage, pourtant pourvoyeur d'emplois. L'autre cause des difficultés de recrutement se trouve dans le vieillissement de la population. D'après le ministère fédéral de l'Économie et de la Protection du Climat, la population active (les 20-65 ans) « devrait baisser de 3,9 millions d'ici à 2030, et de 10,2 millions d'ici à 2060. […] Le manque de main-d'œuvre est estimé à 240 000 personnes à l'horizon 2026. »

Autre cause : le départ des jeunes. 270 000 Allemands se sont installés à l'étranger en 2022. Ils ont 35 ans en moyenne et sont diplômés du supérieur. Ces actifs préfèrent travailler ailleurs plutôt que de rester en Allemagne. Ils se disent « insatisfaits » de la bureaucratie allemande et préfèrent immigrer en Autriche, au Portugal, en Suisse ou aux États-Unis. Des départs comblés en partie par l'immigration de talents étrangers et le retour d'une partie de la population allemande.

France

En France aussi, ça coince côté recrutements et qualifications. Une étude de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) parue en septembre 2022 révélait que 94 % des chefs d'entreprises n'arrivaient pas à trouver le bon profil. D'un côté, l'étude montre un turn-over plus important, avec des candidats moins attachés à l'entreprise ou à la vie professionnelle. 51 % des salariés confiaient vouloir changer de secteur d'activité. 53 % préféraient se consacrer à autre chose qu'à leur vie professionnelle. 30 % attendaient d'aller chez un concurrent plus offrant. 16 % pensaient créer leur entreprise.

Selon les derniers chiffres du ministère du Travail français, le nombre de demandeurs d'emploi était de 3 011 1000 au deuxième trimestre 2023. C'est 4900 de moins que le trimestre précédent, soit une baisse de 0,2 %. Une baisse lente, 7 fois plus lente qu'au premier trimestre. Sur l'année 2022, la baisse du nombre de demandeurs d'emploi avait atteint les 5 %. Alors que le cap des 6 mois a été franchi, on se heurte toujours au palier des 3 000 000 de demandeurs d'emploi. En parallèle, le Bulletin de la Banque de France publié en avril 2023 révèle que 350 000 emplois sont restés non pourvus en 2022. Pour la Banque de France, le dynamisme du marché du travail français est à relativiser. Les difficultés de recrutement freinent la progression économique.

Difficultés de recrutement, difficultés du travail

Selon la Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) et le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), d'autres causes, plus structurelles, peuvent expliquer ce nombre toujours important de demandeurs d'emploi et les difficultés de recrutement des entreprises. D'après la DARES et le CESE, la pénurie de main-d'œuvre touche surtout les métiers difficiles : port de charges lourdes, horaires décalés, contact avec des produits chimiques dangereux, astreintes, urgences, activités répétitives, bruit, travail de nuit…

Quelles solutions apporter ? En 2022, 67 % des entreprises optent pour des hausses des salaires. D'autres ont versé des primes à leurs employés. En 2020, Pôle emploi, agence française pour l'emploi, a lancé « Action recrut' », service destiné à conseiller les entreprises pour que leurs offres d'emploi rencontrent leur public. Les services proposés par Pôle emploi incluent l'aide à la rédaction de l'offre, la proposition de candidats, les conseils sur le processus de recrutement, ou encore, l'immersion des candidats dans l'entreprise. Selon les premières conclusions de Pôle emploi, l'initiative est une réussite. 85 % des entreprises se disent satisfaites du service.

Quelles opportunités pour les talents étrangers ?

Les candidats à l'expatriation peuvent-ils tirer parti de ces situations ? Oui, à condition d'avoir la formation adéquate. L'on demande de plus en plus de compétences techniques, même dans des secteurs qui, auparavant, semblaient plus faciles d'accès. Santé, informatique, banque, énergies renouvelables, commerce, comptabilité, administratif, éducation, formation, artisanat, mécanique, robotique, technologies de l'information et de la communication, aide à la personne… Les domaines en recherche de professionnels étrangers sont nombreux.

Certains États, comme l'Allemagne, mettent en place de nouvelles règles d'immigration pour faciliter la venue de professionnels étrangers. D'autres, comme le Canada, proposent divers programmes ciblant les travailleurs étrangers, les secteurs en pénurie, et les zones géographiques manquant de travailleurs. Pour ces États frappés par la pénurie, l'immigration est un moteur de la croissance. Moteur encore plus important pour faire face à la crise démographique. Avis aux talents étrangers.

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