Productivité, création d'emplois, salaires : l'Europe championne des inégalités ?

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Publié le 2023-02-21 à 10:00 par Asaël Häzaq
La guerre provoquée par la Russie contre l'Ukraine a-t-elle annulé le rebond économique ? En 2021, les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) se remettent plus rapidement que prévu de la crise engendrée par la pandémie de Covid. Un rebond comparable est observé dans d'autres économies du monde, comme aux États-Unis, en Australie ou en Chine. Dans les pays de l'OCDE, 66 millions d'emplois ont été créés depuis la reprise post-Covid. Mais depuis 2022, l'incertitude plane.

Productivité, chômage : l'OCDE à l'épreuve de la crise

Aux conséquences de la crise sanitaire s'ajoutent celles de la guerre en Ukraine. C'est un nouveau coup porté aux économies mondiales, et une porte ouverte à une nouvelle crise sociale et économique. Si nombre de pays de l'OCDE connaissent des pénuries de main-d'œuvre, favorables donc aux créations d'emploi, on observe des situations très inégales d'un pays à l'autre, et même au sein d'un même pays.

Exemple avec le Royaume-Uni. Déjà en crise depuis le Brexit, il subit, et une pénurie de main-d'œuvre dans de nombreux secteurs (notamment le transport, la restauration, l'hôtellerie…), et une baisse de la productivité. Selon l'Institute for Public Policy Research (IPPR), think tank britannique, l'écart de productivité s'est creusé de 0,04 point. L'écart peut sembler minime. Il est, au contraire, l'un des plus importants des pays de l'OCDE. Il est de 0,003 point en Espagne, 0,007 point au Danemark, ou 0,013 point en Allemagne. Seule l'Irlande fait pire que le Royaume-Uni, avec un écart de productivité de 0,12 point.

Bien entendu, la productivité va de pair avec le niveau d'emploi et les salaires. Les autres pays de l'OCDE connaissent aussi une crise et des disparités régionales. Si le taux de chômage baisse au sein de l'OCDE (4,8 % en juin 2022), on note, là encore, des contrastes entre les pays. Certains sont théoriquement en situation de plein-emploi (Allemagne, Pologne, Irlande, Slovénie, Hongrie…) avec un taux de chômage inférieur à 5 % (chiffres novembre 2022 – Eurostat). Le taux de chômage des autres pays de l'OCDE navigue entre 5 et 10 % (France, Italie, Finlande, Suède), voire, dépasse les 10 % (Espagne, Grèce). Au Royaume-Uni, c'est aussi le plein-emploi théorique, avec un taux de chômage de 3,7 % en novembre 2022.

Emplois, salaires, et inégalités

Si 66 millions d'emplois ont été créés dans l'OCDE depuis la reprise post-Covid, 57 millions d'emplois ont été perdus en 2020. Avec les pénuries de main-d'œuvre, la majorité des États de l'OCDE a retrouvé un solde positif de création d'emplois (9 millions sur l'ensemble des pays). Mais l'écart se creuse entre les riches et les pauvres ; on note même une accélération depuis la pandémie. Parmi les principales causes, des destructions d'emplois dans des secteurs fortement soumis aux aléas du marché, pour des emplois subissant eux aussi la conjoncture. Emplois bien souvent peu rémunérateurs. A contrario, les secteurs moins exposés se sont enrichis.

L'écart salarial entre les hommes et les femmes est toujours aussi important. En 2020, il plafonne à 12 % pour l'ensemble de l'OCDE. Le Luxembourg se démarque, avec à peine 1,4 % d'écart. D'autres pays se situent sous la barre des 10 %, comme l'Italie (4,2%), la Pologne (4,5%) ou la Belgique (5,3 %). D'autres, en revanche, dépassent les 10 % (Espagne, Suède, Irlande, Danemark) et même les 15 % : en France, l'écart salarial entre les hommes et les femmes, bien qu'en baisse, culmine à 15,8 % Le Royaume-Uni fait à peine mieux, avec 15,5 %. La Finlande, qui a pourtant placé l'égalité professionnelle parmi ses priorités, fait pire, avec 16,7 %. L'Allemagne plafonne à 18 %. En Estonie et en Lettonie, l'écart se creuse, à, respectivement, 21,1 % et 22,3 %.

Cependant, même chez le modèle luxembourgeois, des disparités font surface, notamment entre les types de contrats et les heures travaillées. Les femmes sont davantage exposées au temps partiel. Une situation qui impacte négativement leur salaire, et contribue à creuser l'écart avec les rémunérations des hommes.

Crises et augmentation de la pauvreté

En France, 10 % des plus hauts revenus gagnent en moyenne 6,9 fois les revenus des 10 % les moins riches. Les 10 % les plus riches gagnent en moyenne 5 014 euros par mois, contre 726 euros pour les 10 % les plus pauvres, soit, un niveau inférieur au seuil de pauvreté (918 euros). Le seuil de richesse, lui, est fixé à 3 674 euros par mois. Les inégalités sont en hausse depuis les années 2000, avec un pic en 2008 (crise des subprimes), et en 2018 (mesures favorables aux hauts revenus). La tendance était à la baisse en 2019, jusqu'à la crise sanitaire de 2020.

En Allemagne aussi, les inégalités augmentent malgré un plein-emploi théorique. Elles sont même en hausse, avec un taux de pauvreté qui passe de 14,3 % en 2010, à 16,8 % en 2019. Lancées en 2005, les lois Harz IV, pensées pour réduire les inégalités, les ont au contraire creusées. Pour accélérer les retours à l'emploi, les lois Harz IV contraignaient les chômeurs à accepter n'importe quel type de travail. Pour les économistes, cette politique punitive a aggravé les tensions sociales et accéléré la paupérisation. Depuis, l'Allemagne a opté pour une vision moins punitive. Mais les conséquences sont déjà là.

Royaume-Uni, le royaume des inégalités ?

De plus en plus de riches, mais dans une société pauvre. Dans les années 2010, l'État était déjà qualifié de « royaume des riches ». Si la tendance était à la baisse, la crise de la Covid a fait flamber les inégalités, et exacerbé les tensions sociales. Difficile de supporter les hausses de salaires des plus aisés : en février 2022, les salaires du secteur de la finance ont bondi de 31 % (comparativement à 2019), contre à peine 14 % dans les autres secteurs. En parallèle, l'inflation fait fondre les faibles hausses salariales des plus modestes.

Selon le service britannique des impôts (HMRC) et de l'Office national des statistiques (ONS), des inégalités salariales sont visibles au sein même du secteur financier. Ce sont les hauts postes qui ont bénéficié des hausses les plus importantes. Ces augmentations sont moins dues à production de richesse (la croissance britannique est en stagnation) qu'à des bénéfices records de quelques grandes banques. Des bénéfices dont est exclue la grande majorité de la population. En 2022, le revenu disponible des ménages dévisse à -0,6 points, au Royaume-Uni, contre +0,5 point pour l'ensemble des pays de l'OCDE.

Le Royaume-Uni est-il toujours attractif ?

Pour les économistes, le Royaume-Uni continue de subir les effets du Brexit. Effets amplifiés par les crises à répétition depuis 2020, qui frappent jusqu'à la scène politique. Mais les pirouettes de Johnson et l'apparition éclair de Truss n'ont amusé personne. Rishi Sunak se veut d'être l'homme de la réconciliation. Sa fortune fait grincer des dents. Les manifestations ébranlent le pays depuis 2022, et ne sont pas près de s'arrêter. Cheminots, chauffeurs, enseignants, infirmiers, organismes publics… Ce mois de février fait déjà date, avec, presque chaque jour, plusieurs mouvements de grèves.

Londres, place forte de l'emploi et de l'entrepreneuriat

Malgré tout, le Royaume-Uni reste-t-il dans le cœur des expatriés ? Oui, à en croire les principaux intéressés. Pour les immigrants italiens, le pays reste la meilleure option pour évoluer professionnellement. En septembre 2022, ils sont ainsi 600 000 à avoir demandé la résidence au Royaume-Uni, dépassant toutes les autres nationalités européennes. Car ailleurs en Europe, on a tendance à quitter le Royaume-Uni, et surtout Londres et ses logements hors de prix. Mais les salaires londoniens restent en moyenne plus élevés qu'à Rome. Les perspectives de carrière et d'avancement professionnel y sont aussi plus nombreuses. Ce sont les principales raisons qui motivent les immigrés italiens.

Même discours pour les immigrés français. Ils voient le départ des ressortissants européens comme une occasion supplémentaire de se faire une place sur le marché du travail britannique. Pour eux, le coût du Brexit (coût du visa, système de santé, etc.) et de la crise énergétique reste amortissable par les salaires, qu'ils estiment plus élevés qu'en France. Les entrepreneurs étrangers n'y voient aussi que des avantages. Ils profitent notamment d'un impôt sur les sociétés qui, bien qu'en hausse depuis le 1er janvier (pour les entreprises dont les bénéfices sont supérieurs à 250 000 livres), reste attractif. Ils apprécient surtout la vision libérale du Royaume-Uni, qui fait tout pour faciliter leur installation.

Une immigration en hausse

Selon l'Office national de la statistique britannique, le pays a accueilli 500 000 nouveaux immigrants entre juin 2021 et juin 2022. C'est 300 000 de plus que lors de la période précédente. L'Office explique cette hausse par le contexte international : la réouverture des frontières a permis aux étudiants internationaux de revenir au Royaume-Uni. La guerre en Ukraine a conduit nombre d'Ukrainiens à immigrer au Royaume-Uni. Selon l'Office, 39 % des immigrants sont arrivés sur le territoire avec un visa étudiant. 21 % ont immigré avec un visa de travail.

Face aux pénuries de main-d'œuvre, les patrons britanniques appellent le gouvernement à assouplir sa politique. Devant les ministres qui plaident pour une formation des Britanniques, le patronat contre-attaque : les compétences des Britanniques ne répondent pas aux exigences du marché (des secteurs en pénurie). Pour les patrons, c'est maintenant qu'il faut embaucher des étrangers. Une aubaine pour les candidats à l'expatriation ? En novembre 2022, le Premier ministre Sunak semblait aller vers davantage de visas attribués aux étrangers hautement qualifiés. Il a depuis réfuté tout assouplissement en la matière. Reste à savoir si la conjoncture inversera ou non la tendance.