IA et immigration économique : la révolution silencieuse dans les politiques mondiales

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Publié le 2023-11-29 à 10:00 par Asaël Häzaq
Entrée remarquée de l'intelligence artificielle dans les gouvernements. Impossible de s'en passer ou de l'ignorer. Les États légifèrent et tentent de l'encadrer. Car l'IA se développe jusque dans les politiques migratoires, et intervient dans les stratégies visant à lutter contre les pénuries de main-d'œuvre. Quel impact ces nouvelles stratégies ont-elles sur l'expatriation ?

États-Unis : un décret pour encadrer l'usage de l'IA

« Pour accomplir la promesse de l'intelligence artificielle et éviter les risques, nous devons réguler cette technologie. Il n'y a pas d'autre chemin » déclare Joe Biden, le 30 octobre. Conscient de grandes opportunités, mais aussi des grands risques que représente l'intelligence artificielle (IA), le président américain a signé un décret pour encadrer l'IA. Utilisée dans de nombreux domaines, y compris les secteurs sensibles comme l'immigration ou l'évaluation des pénuries de main-d'œuvre selon les secteurs, l'IA doit, pour Biden, être mieux contrôlée. Le décret aura une influence sur la politique migratoire américaine concernant l'immigration économique.

Car de nombreuses professions ont recours ou sont liées aux IA, notamment dans les STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), secteurs recherchant régulièrement des talents étrangers. Le ministère du Travail américain a justement été chargé par la Maison-Blanche d'identifier ces métiers « liés aux IA et aux STIM ». Le ministère doit aussi envisager la mise à jour de la liste des professions de « l'annexe A ». Mise en place dans les années 60, la liste des professions de l'annexe A permet à l'État d'attirer plus facilement les talents étrangers dans les secteurs frappés par d'importantes pénuries de main-d'œuvre. Gérée par le ministère du Travail, l'annexe A fait partie intégrante de la politique d'immigration économique des États-Unis. Un emploi listé sur l'annexe A permet à l'employeur d'embaucher plus rapidement un travailleur étranger, certaines étapes du processus d'immigration étant évitées.

Les nouvelles technologies pour évaluer les pénuries de main-d'œuvre

Mais la liste existante, qui n'a bénéficié d'aucune révision majeure depuis 1991, est obsolète. Elle ne comprend en effet que 2 groupes : un réservé aux physiothérapeutes et aux infirmiers ; un autre dédié à certains travailleurs dans les sciences et les arts.

Pour la Maison-Blanche, les listes d'emploi doivent refléter la conjoncture pour permettre la rencontre entre l'offre et la demande de travail, et lutter efficacement contre les pénuries de main-d'œuvre. C'est là qu'interviendraient les nouvelles technologies. Le ministère du Travail entend analyser des données sur le marché du travail (croissance de l'emploi, secteurs concernés, taux de chômage, taux de postes vacants, tendances en matière de salaires…) pour identifier précisément les secteurs en pénurie critique, et donc, en besoin urgent de main-d'œuvre. Pour l'exécutif américain, la mise à jour de l'annexe A aura des effets immédiats et à long terme. Elle permettra d'attirer les talents étrangers pour combler les besoins actuels de main-d'œuvre, mais aussi d'attirer sur le long terme les étrangers qualifiés, notamment dans les STIM et la santé. Les données compilées pourraient aussi donner une vision économique plus large et plus prédictive. Elles encourageraient la flexibilité, les formations ciblées, une implication du système éducatif et des entreprises pour cibler toujours plus précisément les besoins, et former une main-d'œuvre nationale et internationale adéquate.

Une opération « gagnant-gagnant » à tous les niveaux, du moins selon les vœux de l'exécutif. Mais pour cela, les politiques de visas doivent suivre. Les actuels visas d'immigrants basés sur l'emploi sont souvent courts et très longs à obtenir. Des complications qui peuvent décourager les talents étrangers, et les inciter à se tourner vers d'autres pays. Il semble donc que la modernisation des listes de métiers en grave pénurie doive également passer par une modernisation des processus d'immigration économique.

Rationaliser l'immigration économique : les exemples du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande

Qu'en est-il dans les autres pays ? Rien ne semble arrêter le développement de l'IA et son influence dans tous les secteurs ou presque. Concernant l'immigration, un nombre croissant d'États recourt à l'intelligence artificielle pour contrôler, rationaliser ou étudier les profils des expatriés venant sur le territoire, les besoins en main-d'œuvre, les secteurs en situation de pénurie, etc. À partir de 2015, le Royaume-Uni a utilisé une IA pour filtrer les profils des candidats étrangers. Mais suite à un grand taux d'échec et surtout, des discriminations raciales constatées, le projet a été remis en cause.

Mais le Royaume-Uni a continué de mettre en œuvre de nouvelles stratégies pour adapter son système d'immigration à la conjoncture. C'est également la voie choisie par les États-Unis. Le visa à point, mis en place depuis le Brexit fait partie de ce nouveau système d'immigration, qui met la priorité sur l'immigration économique et sur des expatriés répondant aux besoins de main-d'œuvre du pays. Le gouvernement britannique a aussi mis en place une liste de métiers en tension, par type de poste et par région. Là aussi, les besoins sont grands dans les STIM et les métiers de la santé.

La Nouvelle-Zélande veut aussi attirer davantage de talents étrangers. C'est dans ce but qu'en juillet, le gouvernement annonce une révision de sa politique d'immigration. Révision qui passe notamment par la modernisation de certains visas. Ainsi, depuis novembre « visa de travail d'employeur accrédité » est étendu à 5 ans, au lieu de 3 précédemment. Pour rappel, ce visa permet de s'installer en Nouvelle-Zélande si l'on dispose d'une offre d'embauche ; il permet également d'étudier 3 mois dans l'année. Depuis octobre 2023, la politique de visa à point a été simplifiée, pour faciliter l'accession à la résidence permanente et des immigrants qualifiés.

Et si l'IA modelait les politiques migratoires de demain ?

Itflows, IA de « prédiction des flux migratoires » de l'Union européenne (UE), divise. Le comité éthique du projet reconnaît lui-même des risques concernant les droits de l'homme. Car l'IA pourrait très facilement être détournée de son objectif premier, et contribuer au contraire à exclure des groupes ciblés d'expatriés.

Au Japon aussi, on se tourne vers l'IA pour contrer les pénuries de main-d'œuvre, mais d'une autre manière. Le ministère japonais du Travail a débloqué une enveloppe de 100 milliards de yens (environ 660 millions de dollars) pour aider les petites et moyennes entreprises (PME) à remplacer les postes manquant par les intelligences artificielles. En clair : accélérer l'intégration de l'IA au sein des PME pour qu'elles aient moins besoin de main-d'œuvre. Les IA seraient notamment déployées sur les lignes de production, le contrôle qualité, le nettoyage et le service client. Les pénuries de main-d'œuvre plombent l'activité économique du Japon, et accélèrent son ouverture à l'immigration. Malgré les réformes, notamment sur les catégories de visa et la création de nouveaux visas, les entreprises appellent le gouvernement à davantage d'effort, pour accueillir davantage d'immigrants qualifiés et non qualifiés.

D'autres pays, comme l'Australie et Singapour, adaptent également leurs stratégies pour lutter contre la pénurie de main-d'œuvre et attirer les professionnels étrangers. Pour ses défenseurs, l'IA se présente ici comme un outil indispensable pour analyser de larges volumes de données concernant l'immigration et les marchés du travail. Elle peut identifier des tendances et prédire les comportements des candidats à l'expatriation. Et tout cela, à moindre coût. C'est, du moins, ce qu'affirment les défenseurs de l'IA. Reste à mesurer l'impact de l'intelligence artificielle sur les processus d'immigration. L'exemple britannique est loin d'être isolé. Les détracteurs de l'IA pointent les failles du système. Ils recommandent la prudence et la nécessité absolue d'un contrôle humain.

Liens utiles :

UK government : Skilled Worker visa, shortage occupations

New Zealand government : Green List roles