Entre liberté et réalités financières : Le dilemme des jeunes expatriés

Vie pratique
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Publié le 2023-07-21 à 14:00 par Asaël Häzaq
Depuis le « choc Covid » et la réouverture des frontières, on ne cesse de parler de cette « liberté retrouvée » qui donne des ailes à des millions de nouveaux candidats à l'expatriation. Une envie de liberté qui serait encore plus forte chez les jeunes. Mais dans le même temps, la flambée inflationniste et la crise économique coupent les ailes de millions d'autres, ou du moins, retardent leurs projets d'expatriation. Vie à l'étranger, finances et jeunesse : une alliance difficile ?

Des jeunes plus précaires que leurs aînés

On les dit plus libres que leurs aînés. Ils seraient, au contraire, davantage « enchaînés » et confrontés aux aléas de la conjoncture. Une étude de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) révèle que 34 % des étudiants disent ne pas parvenir à subvenir à ses besoins. L'étude, sortie en 2022, se porte sur un panel consulté en 2021. Avec une inflation qui a continué d'augmenter en 2022 et qui reste toujours d'actualité en 2023, la FECQ tire la sonnette d'alarme. La précarité alimentaire touche de plus en plus de jeunes, et s'accompagne d'autres difficultés (accès aux soins, logement décent, coût des études, etc.) Les difficultés financières impactent la vie des jeunes ; certains jeunes expatriés isolés sont encore plus sévèrement touchés.

Crise sanitaire, crise économique, hausse des frais de scolarité et précarité des étudiants

Que s'est-il passé ? La Covid a effectivement eu des conséquences catastrophiques sur les finances de nombre de jeunes étudiants étrangers et de candidats à l'expatriation. Selon une étude de la Fédération du secteur financier belge (Febelfin), 6 jeunes sur 10 disent rencontrer des difficultés financières en 2021, notamment à cause de la Covid. Les fermetures d'établissements les ont privés de revenus. Bloqués dans leur chambre étudiante, dans l'incapacité d'étudier correctement et/ou de faire des économies, ces jeunes ont vu leur pouvoir d'achat fondre drastiquement. L'ouverture des frontières a certes permis la reprise de la mobilité étudiante. Mais l'expatriation reste financièrement difficile pour de nombreux jeunes. Car la crise, elle, continue. Elle frappe même tous les domaines. Elle ne remonte cependant pas à la crise sanitaire, mais va en s'aggravant à mesure que le coût des études augmente. C'est particulièrement vrai pour les étudiants étrangers, véritables mannes financières des États, forcés de payer des frais de scolarité toujours plus élevés. Une pratique dénoncée par les associations étudiantes, et qui, selon certains experts, serait contre-productive. Les universités britanniques, avec le Brexit, et australiennes, avec la crise sanitaire, ont fait les frais de leur propre stratégie de tarifs élevés pour les étudiants étrangers. Malgré leurs déconvenues, la France s'est elle aussi engagée, à travers son programme « Bienvenue en France », dans une politique de hausse des frais universitaires pour les étudiants étrangers.

Un problème de générations ?

D'un point de vie macroéconomique, les seniors semblent mieux s'en sortir. Pour ces « baby-boomers », voyages et retraite à l'étranger sont plus envisageables. Avec le temps, ils ont logiquement accumulé davantage de patrimoines que les jeunes générations, sont souvent propriétaires de leur logement. Or, la crise immobilière a fait grimper les prix des logements. Le taux d'endettement des seniors est lui aussi moins élevé que celui des générations plus jeunes. Ces seniors ont fini de rembourser leur prêt ou sont en passe de le faire. Les jeunes, eux, sont de plus en plus nombreux à entreprendre des études longues, retardant d'autant leur entrée dans la vie active. Ils doivent aussi faire face à d'autres dépenses, notamment « l'investissement d'une vie », à savoir, l'accession à la propriété. L'avantage des « boomers » est cependant à relativiser, tant les disparités sont grandes. Difficile de comparer la situation des années 50-60, au sortir de la guerre, sans les protections et avancées sociales existantes, avec la situation d'aujourd'hui. On est donc loin d'une guerre de « jeunes contre vieux ».

Très chère dette étudiante

L'expatriation est-elle en passe de devenir une expérience de jeune privilégié ? Si l'on n'en est pas encore à la fracture ouverte, la crise qui s'éternise prive des millions de jeunes de projets d'avenir à l'étranger. Ceux qui partent ne sont pas forcément mieux lotis, et subissent un coût de la vie toujours plus élevé. Au cœur du problème : un financement des études qui passent de plus en plus par le crédit, indispensable, mais pesant. Zoom sur quelques pays.

États-Unis

Aux États-Unis, la dette étudiante fait partie du lourd bagage de millions d'étudiants. Précisément 43 millions, dont les crédits fédéraux à rembourser s'élèvent à plus de 1800 milliards de dollars (chiffres Data Éducation Initiative). Les étudiants empruntent en moyenne près de 40 000 dollars, avec des pics à 134 000 dollars pour les étudiants en droit, et 208 000 dollars pour les étudiants en médecine. La situation, critique depuis des années, a encore empiré avec la crise. Au point que Joe Biden a proposé d'annuler une partie de la dette. Gouffre, fardeau, abîme, tous les termes ont été utilisés pour définir ce qui grève la vie de millions de jeunes, prisonniers entre des études de plus en plus chères, et longues, et le désir de vivre, tout simplement. Le poids de la dette retarde tous les autres projets, y compris l'expatriation. 70 % des Américains empruntent pour étudier. 60 % parviennent à rembourser leur prêt entre 40 et 50 ans. Soit, une vie passée à rembourser sa dette.

Afrique du Sud

En Afrique du Sud, la situation devient explosive. Le coût des études augmente d'année en année alors que les finances des étudiants, elles, se réduisent à mesure que la crise économique perdure. Cette année, les étudiants sud-africains devront débourser en moyenne 3000 dollars pour étudier. Une somme que nombre d'entre eux ne parviennent plus à rassembler. Et la réponse des universités ne fait qu'exacerber leur colère. Certaines, en effet, excluent les étudiants incapables de payer leurs frais de scolarité ou refusent de délivrer leur diplôme. En mars, des étudiants de l'université de Witwatersrand bloquent le campus pour montrer leur contestation. Déjà, en 2021, 100 000 étudiants étaient privés de diplômes, faute d'avoir payé leurs frais de scolarité. Depuis 2010, la dette des étudiants grimperait à plus de 500 millions de dollars. Contrairement au cas américain, le gel de la dette est, des dires des universités « inenvisageable », si elles veulent continuer de fonctionner.

Les universités reconnaissent la « cruauté » de leur sanction, mais se disent, elles aussi, coincées. Elles appellent à une réflexion nationale sur ce problème, qui prive des millions d'étudiants de perspectives, tant dans le pays qu'à l'étranger. En avril 2021, le journal France Television rapporte le témoignage de Telefo Mabuya, privé de diplôme en gestion hôtelière faute d'avoir remboursé toute sa dette (3500 euros). Or, cette rétention de diplôme l'a privé de deux stages à l'étranger et d'un emploi sur un paquebot. Beaucoup d'autres étudiants dans cette situation réclament un effacement de la dette. Car si le gouvernement fournit des bourses, elles ne concernent que les plus précaires. Ce sont donc les classes moyennes qui subissent les hausses des frais de scolarité et ses répercussions. De jeunes talents promis à des opportunités à l'étranger se retrouvent en grande précarité, sans diplôme reconnu. En 2019, le président Ramaphosa a bien promis la gratuité des études, mais elle ne concerne que la première année.

Japon

On pourra dire que le Premier ministre Fumio Kishida a voulu « faire d'une pierre deux coups ». Mais il est des propositions qu'il vaut mieux s'abstenir de partager. Concernant la réduction de la dette étudiante, la tentative de Kishida ne passe pas. On peut même dire qu'elle fait scandale. En mars, le gouvernement a ainsi proposé de réduire la dette étudiante pour les personnes qui s'engageraient à avoir des enfants. En début d'année, il avait prévu des mesures « choc » pour relancer la natalité. Il faut dire que 2022 a été une nouvelle année catastrophe avec 800 000 naissances en moins. Du jamais vu depuis 1899, date à laquelle les statistiques en la matière ont commencé.

Les critiques ne se sont pas fait attendre, tant dans la sphère politique que chez la population. Les contestataires s'insurgent contre une mesure qui reviendrait à traiter les Japonais « comme du bétail ». Les conservateurs tentent de défendre leur idée. Le député Masahiko Shibayama soutient ainsi une mesure visant à « soutenir financièrement les familles ». Faux, conteste la sénatrice Noriko Ishigaki, pour qui «exiger un enfant en contrepartie d'une réduction de sa dette étudiante est une mauvaise mesure pour s'attaquer au faible taux de natalité ». Kishida est resté plutôt discret, préférant laisser le débat se faire. Le poids de la dette étudiante reste un problème majeur au Japon. En 2020, une enquête de l'Institut national des sciences technologies du ministère japonais de l'Éducation révèle que 35,9 % des diplômés avaient dû emprunter pour étudier. La moitié d'entre eux devait plus de 3 millions de yens (21 166 dollars).

S'expatrier à petit prix quand on est jeune, c'est possible ?

Tout d'abord, il faut rappeler que même si la question financière est capitale, elle ne doit pas dicter le choix du pays. En effet, « s'expatrier malin » en misant sur des pays au coût de la vie faible est un calcul risqué, qui ne prend pas en compte la possibilité de trouver du travail, les perspectives de carrière, le coût de la vie réelle une fois sur place (avec le coût moral, les éventuels retours au pays, etc.).

Pour commencer, il faut bien définir son projet. Est-ce un projet à court, moyen ou long terme ? Souhaite-t-on partir quelques mois ou plusieurs années ? Pour étudier, chercher du travail ou travailler ? A-t-on déjà des pays ciblés ? Souhaite-t-on partir dans le pays d'à côté ou au bout du monde ? Faudra-t-il un visa ?

Une fois l'ébauche du projet faite (on pourra la modifier), on peut établir son budget. De combien a-t-on besoin pour voyager ? Quelles sont les ressources disponibles ? A-t-on contracté un prêt ? Quand finit-il ? Il ne faut pas hésiter à solliciter son banquier. Les experts constatent que les jeunes manquent souvent d'informations concernant les finances et la gestion de leur argent. Or, selon eux, ces lacunes pourraient les priver de droits (aides, opérations financières avantageuses, investissements, etc.). Ensuite, place à la recherche de financements. Bourses d'états, régionales, universitaires, privées… Ces bourses (hors bourses universitaires) ne sont pas toujours réservées aux étudiants. Les procédures prenant du temps, mieux vaut s'y prendre à l'avance.

Reporter son projet de quelques années pour se constituer un capital et/ou réviser son projet pour mieux le réaliser font partie des options à envisager. En matière d'expatriation, il n'y a pas de recettes miracles, mais plutôt de petits arrangements qui, mis bout à bout, permettent de concrétiser son projet.