LE RAPPORT DE LA HONTE

Samuel Boscher / FRANCE MAYOTTE Matin de Vendredi 4 juillet 2014

Les oubliés de la République, un rapport qui met en lumière les économies déchelle réalisées sur le dos des Mahorais aujourdhui sacrifiés

"Le corps transitoire des fonctionnaires Mahorais. Une drôle de formule unique en France sur laquelle sest penché le Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale (CSFPT) et a produit un rapport incroyable intitulé : Mayotte, les oubliés de la République. France Mayotteee Group est parvenu à se procurer ce fameux document de 78 pages et il est édifiant. Après les générations sacrifiées de lÉducation Nationale, il sera permis de dire sous Français à la misère codifiée, créés dune manière qui ne peut quinspirer la honte.

Mercredi dernier, le Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale sest réuni en séance plénière et a appelé à son ordre du jour, lexamen dun rapport assez extraordinaire concernant le 101ème département. Et son titre donne la mesure de ce quil contient : Mayotte, les oubliés de la République.

Pour faire simple et bien comprendre les choses, autrefois, la fonction publique française se déclinait en 4 catégories, A, B, C et D. La formule devait être revue et corrigée et il y a maintenant 27 ans, la catégorie D de la Fonction Publique a été supprimée pour ne conserver que les 3 premières.

Mais Mayotte était à cette époque bien à part et la Fonction Publique Locale dite mahoraise était normée par des arrêtés préfectoraux, quil sagissait dintégrer au mieux dans la Fonction Publique Territoriale.

Or, la loi 2001-616 du 11 juillet 2001, avait posé le principe de la départementalisation et dans ce cadre, le droit à intégration des agents publics de Mayotte dans les fonctions publiques de droit commun. Il était établi que ces intégrations devaient intervenir avant le 31 décembre 2010, mais uniquement pour la Fonction Publique dÉtat.

Au 1er avril 2004, au moment de lactivation de la décentralisation, il a fallu activer le processus mais un problème sest posé. Compte-tenu du faible niveau de vie, de la modicité des rémunérations de la Fonction Publique Mahoraise, et du montant du Smic mahorais à cette époque (568  contre 1286  en métropole), deux cadres demplois, qui devaient être transitoires, ont été créés : le cadre demplois des agents territoriaux et celui des Agents Ouvriers Territoriaux de Mayotte (AOTM). Ces cadres demplois se caractérisaient par un début de carrière à lindice brut 100 jusquà lIB maximum de 250, le déroulement de carrière pouvait alors prendre de 12 à 18 ans. Le provisoire était installé pour les agents de la fonction publique territoriale même si la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) sétait engagée à proposer un texte afin de fermer un jour ce dispositif périssable qui devait donc séteindre aussi au 31 décembre 2010.

Or, les intégrations des agents de la fonction publique Mahoraise dans les cadres demplois des AOTM ne se sont pas produites à un rythme satisfaisant permettant de tenir les objectifs fixés par la loi, à savoir l'intégration avant le 31 décembre 2010 de lensemble des agents. En 2007, le rapport de linspection générale du CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale) constatait que 20 % seulement des personnels avaient demandé leur intégration, en raison de la faible attractivité de ces cadres demplois.

Avec le temps, le climat social sest durcit et le Préfet avait été amené à négocier avec les partenaires sociaux et institutionnels, trouvant ainsi un protocole d'accord dit protocole Robin relatif à l'intégration des agents publics de Mayotte dans les fonctions publiques de droit commun.

Ce protocole signé le 8 avril 2009 prévoyait un certain nombre d'avancées, notamment :
- l'amélioration de la grille indiciaire des cadres demplois dits «passerelles»
- la durée de carrière réduite à 6 échelons, chacun dune durée dun an, mais sans mini ni maxi,
- l'intégration automatique pour ces agents dans les corps ou cadres d'emplois de droit commun dès lors qu'ils ont atteint l'indice majoré de début de carrière de la catégorie C, cest à dire au moment du basculement du 5ème au 6ème échelon (indice majoré 309).

Cependant, lintégration dans les cadres demplois des AOTM a été prévue délibérément sans reprise dancienneté et ce, avec le quitus donné par les syndicats.

Grâce à cette avancée bancale, tous les agents de la Fonction Publique Mahoraise ont été intégrés, à quelques rares exceptions, dans les cadres demplois de droit commun de la fonction publique territoriale sauf les hors catégorie, les AOTM.

Au 30 juin 2013, les AOTM étaient à Mayotte environ 3 600 soit 66% des catégories dites C sur le territoire.

Et les conséquences sont aujourdhui dramatiques. Cest ce quindique le rapport du CSFPT : il est vrai quune des raisons de cette situation particulière est quon a «oublié», dans leurs cadres demplois, de mentionner expressément une date dextinction dudit cadre, alors que cétait le cas dans la Fonction Publique de lEtat. Et puis, au moment de la revalorisation de la catégorie C, on a «oublié» quil existait une population dagents dont lindice majoré est inférieur à 309, les AOTM. Et ce dernier «oubli» exclut désormais les AOTM dun passage automatique en catégorie C à la fin de leur carrière. Ils vont stagner dans un cadre demplois qui pourtant était dit provisoire.

Et le rapport dajouter une petite note qui revêt une importance capitale : pourtant, lattachement de Mayotte à la France et aux valeurs de la République nest plus à démontrer. Mayotte envers et contre tout et tous a voulu rester française. () Les agents témoignent aussi de leur amertume car ils se croyaient citoyens à part entière et demandent en conséquence légalité républicaine avec les autres agents publics, qui pour linstant leur est refusée.

Dans cet esprit, le document présenté mercredi en séance plénière du CSFPT préconise de manière aussi forte quincontournable : il est temps de prévoir un terme à lexistence des cadres demplois transitoires dès le 1er janvier 2015 ou à défaut le 1er du mois suivant la parution du décret. Il importe de fixer une date dextinction du dispositif des cadres demplois «hors catégories» en interdisant de nouveaux recrutements dans ces cadres demplois après 2015.

Mais quels sont les véritables problèmes aujourdhui de ces oubliés de la République ?

Le rapport est parfaitement clair sur le sujet et lun des premiers nuds vient de lancienneté.

Comme dit plus haut, lorsque les agents de la Fonction Publique locale ont été intégrés dans le cadre demplois transitoire des AOTM, aucune ancienneté na été reprise. De plus, il na pas été possible de différencier la situation des agents en fonction de leur ancienneté de leur expérience ou de leurs compétences.
Pour le CSFPT, cette question de la non reprise de lancienneté est dérogatoire aux règles statutaires de droit commun

Pourquoi ? Tout simplement parce que les AOTM du corps transitoire espérant un jour devenir des catégories C intégrés, ne sont rien dautre que des catégories D qui nexistent plus en France depuis 27 ans.

Avec un indice Brut maximal fixé à 250 lorsquil faut atteindre 309 pour basculer en C, cela revient à condamner ces travailleurs Mahorais qui exercent parfois depuis 25 ou 30 ans.

Le rapport du CSFPT relève encore que le conseil général a voulu palier cela en procédant à lintégration de 400 agents se trouvant dans cette situation dinfortune. Mais la préfecture est passée derrière, annulant la procédure en faisant jouer le contrôle de légalité pour des raison un peu compliquées. Mais de manière étonnante, si elle a certes appliqué les textes en vigueur, que penser dun texte dans lequel a été oublié la date dextinction du cadre demplois à linverse de celui régissant le corps similaire des agents de lEtat et ce depuis 10 ans? surligne le rapport marquant ainsi une nouvelle fois linjustice.

Cest pourquoi le conseil préconise avec force, de prévoir une date butoir aux intégrations des AOTM en catégorie C au 1er janvier 2018 mais aussi de revoir les conditions dintégration des AOTM dans les cadres demplois de la catégorie C en prenant en compte leur ancienneté en tant que fonctionnaires.

Très bien, mais comment faire si les indices bruts des AOTM sont à 250 alors quils leur faut 309 ? Pire, la réforme des carrières des fonctionnaires relevant de la catégorie C et B est entrée en vigueur à compter du 1er février 2014.

Elle fait passer lindice des catégories C de 309 à 316 et pour lheure, aucun texte réglementaire nest annoncé pour revoir la grille indiciaire des AOTM () Maintenant, ce basculement automatique nest plus possible, puisque le premier indice majoré de la catégorie C est désormais 316. Une de fois de plus, si rien nest fait, les AOTM vont rester bloqués à lIM 309 et personne ne sait ou ne se préoccupe de ce quils vont devenir. Il ne semble pas que le Gouvernement lorsquil a revalorisé les catégories C se soit souvenu des AOTM tempête le CSFPT qui propose deux solutions : prévoir un dispositif pour revaloriser également les carrières des AOTM lorsque les cadres demplois de catégorie C sont revalorisés et rédiger de façon efficace larticle 11 des décrets relatifs aux Atsem

Les ATSEM ? Quest-ce cette chose là ? Et oui, les choses se compliquent encore. Il existe dans la population des AOTM des agents titulaires du CAP petite enfance, titre nécessaire pour intégrer le cadre demplois des ATSEM (Agents Territoriaux Spécialisés des Écoles Maternelles).

Le CNFPT Mayotte avait accompagné il y a quelques années une démarche de qualification des ATSEM afin de les préparer à lexamen du CAP petite enfance en donnant une large place à la validation des acquis. Sur 350 candidats, 280 avaient réussi lexamen. Or, il ny avait que 60 postes à distribuer et il na pas été possible dintégrer les évincés par leur seul diplôme ce qui avait pourtant été autorisé autrefois par le Préfet à légard des policiers municipaux.

Il est donc nécessaire de prévoir une intégration automatique des AOTM dotés du CAP petite enfance dans le cadre demploi des ATSEM propose le CSFPT.

Viennent enfin les conclusions du CSFPT et elles sont sans appel.
Etre citoyen, et Mayotte a montré son attachement à la République, cest avoir les mêmes droits et devoirs que les autres. Si rien nest dit, si rien nest fait, les AOTM vont rester dans une situation peu avantageuse et inéquitable par rapport à leurs homologues des deux autres versants de la Fonction Publique. Ce qui est profondément injuste. Pourtant lunicité de la Fonction Publique est un des principes majeurs et les pouvoirs publics entendent affirmer ce principe notamment à travers linstauration du Conseil Commun de la Fonction Publique. Mayotte a besoin dagents publics motivés, car reconnus. Reconnaître quil faut résoudre la question des cadres demplois des AOTM dans la Fonction Publique Territoriale serait un signe fort du Gouvernement. Pour que les agents et les ouvriers territoriaux de Mayotte ne soient pas les oubliés de la République, il est urgent dagir.

3 600 hommes et femmes attendent donc aujourdhui que leur sort soit réglé, ce qui ne sera sans doute jamais le cas si les choses restent en létat. Non seulement les AOTM du corps transitoire ne bénéficieront pas des avantages de la fonction publique, mais en plus, ils nauront jamais droit à leur ancienneté. Ceux qui auront travaillé 20 ans avant verront ainsi tout leur labeur effacé telle la craie sur un tableau noir.

Des générations décoliers Mahorais ont été sacrifiées faute dintérêts de la France pour le territoire et aujourdhui, des familles entières vont être propulsées dans la misère extrême pour avoir eu le tort un jour, davoir été oubliés par celle quils ont tant aimé, la France.

Encore une fois, la départementalisation des terres a bien eu lieu, pas celle des hommes où les laissés pour compte se recensent par milliers, enterrés par une technocratie parisienne affrontant la crise et parvenant à de menues économies en piochant dans le social.

vous ne parlez pas du niveau de compétence des  futurs intégrés ? Pourriez vous développer ce point dans vos propos pour que l'on puisse se faire une idée plus complète de la problématique. Merci