Expatriation et port du voile : quel pays choisir pour les femmes musulmanes ?

Vie pratique
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Publié le 2024-05-14 à 10:00 par Asaël Häzaq
Associer projet d'expatriation et pratique de sa religion n'est pas toujours chose aisée, surtout lorsqu'on fait le choix de porter une marque visible de sa religion. Le pays d'accueil se montre-t-il ouvert ? Nombre de femmes musulmanes ayant choisi de porter le voile se disent particulièrement sensibles à l'accueil de leur religion dans le pays étranger. Analyse.

Expatriation et port du foulard : des visions divergentes selon les pays

Elles ont choisi de s'expatrier au Royaume-Uni, au Canada, aux Émirats arabes unis (EAU), en Espagne, aux États-Unis ou encore en France… Parmi ces femmes, un grand nombre de diplômées qui ne voyaient aucune issue professionnelle dans leur pays d'origine. Elles portent le voile. À noter qu'il existe plusieurs formes de voiles, plus ou moins couvrants. Le présent article se penchera davantage sur le hijab (voile couvrant les cheveux et laissant apparaître le visage), le plus répandu et le plus facilement accepté dans l'espace public. Le Royaume-Uni et le Canada sont d'ailleurs régulièrement cités comme des États tolérants envers toutes les religions.

Multiculturalisme ou « intégration » dans la culture du pays d'accueil ?

On peut distinguer deux grands modèles : le multiculturalisme, où toutes les religions pourraient librement s'exprimer dans la sphère publique, et l'intégration, où les pratiques culturelles devraient s'intégrer dans « la culture dominante » du pays d'accueil. Derrière ces modèles, deux visions de la laïcité qui s'opposent. Pour rappel, la laïcité repose sur le principe de séparation entre l'Église et l'État. L'Église (le religieux) n'exerce aucun pouvoir politique. La laïcité est aussi le droit de pratiquer librement sa religion. La laïcité garantit en effet « l'égalité devant les citoyens, quelle que soit leur croyance ».

Mais dans certains pays, le principe de laïcité tend plutôt à défendre l'État contre les religions. La liberté de culte est toujours là, mais ne doit pas empiéter sur la neutralité attendue dans l'espace public. Cette seconde vision de la laïcité s'attache plutôt à gommer tout signe d'appartenance religieuse. C'est cette vision que regrettent les femmes ayant choisi de porter le voile islamique. Elles disent se sentir stigmatisées en France ou en Suède. Les jurisprudences allemande et belge avancent sur la question. En Allemagne, l'autorisation ou l'interdiction du foulard est laissée à l'appréciation des Länder. En 2023, une décision de justice autorise les enseignantes musulmanes du Land de Berlin à porter le hijab. En Espagne, pas de législation d'État concernant le port du voile. En 2021, la communauté musulmane en Espagne dépasse les 2 millions. Les enseignantes s'autorisent davantage à porter le hijab et à montrer, à leur manière, la tolérance.

Faut-il s'expatrier dans un État prônant le multiculturalisme pour porter librement le voile ?

Celles qui ont fait le choix de s'expatrier insistent sur le climat délétère dans leur pays d'origine. Pour elles, la situation s'est aggravée ces dernières années : attaques terroristes, violences… Elles dénoncent des amalgames dangereux, parfois relayés par les politiques eux-mêmes. Mêmes inquiétudes lorsque des faits de violence sont commis par des personnes présentées comme de confession musulmane. Les expatriées portant le foulard parlent d'un quotidien difficile. Elles disent être contraintes de devoir composer avec les regards insistants dans la rue, aux paroles blessantes. Elles parlent aussi de portes du marché de l'emploi plus ou moins fermées.

Des pays divisés sur la question du voile islamique

En Europe, par exemple, de nombreux pays interdisent le port du voile intégral. Le port du foulard peut-être lui aussi interdit (on rappelle qu'il existe plusieurs sortes de voiles), notamment dans l'espace professionnel. L'interdiction peut s'étendre à la pratique d'activités en lien avec le public. Par exemple, un établissement scolaire peut refuser qu'une mère portant le foulard soit parent accompagnateur pour une sortie scolaire.

Si le Royaume-Uni et le Canada sont autant cités comme des références, c'est justement grâce à leur vision plus ouverte. Les femmes voilées expatriées dans ces pays évoquent un quotidien beaucoup plus paisible. Elles ne se sentent plus stigmatisées. Elles se disent moins stressées, plus confiantes quant à leurs possibilités de faire carrière. Elles peuvent travailler avec leur foulard et accéder à des postes à responsabilité. Elles voient des journalistes voilées, présenter les informations télévisées, plaider au tribunal, enseigner… Ces femmes qui ont réussi à l'étranger encouragent les candidates à l'expatriation à sauter le pas.

Expatriation et port du foulard : des discriminations toujours présentes

En Nouvelle-Zélande, les femmes peuvent porter le hijab depuis 2020. Le pays a rejoint le Royaume-Uni et le Canada en intégrant le hijab dans l'uniforme des policières. Pour le gouvernement néo-zélandais, il s'agissait davantage d'encourager les musulmanes à s'engager dans la police. Mais les expatriées (et les expatriés) musulmans déplorent toujours une « haine » visible. Elle le serait même davantage depuis la venue du gouvernement Luxon, marqué à droite et perméable aux idées d'extrême droite. Le 15 mars 2024, alors qu'il commémore le 5e anniversaire de l'attentat de Christchurch, le Premier ministre reconnaît lui-même que les musulmans ne se sentent « toujours pas en sécurité » en Nouvelle-Zélande. Des paroles, mais peu d'actions, regrette Aliya Danzeisen, coordinatrice nationale du Conseil des femmes islamiques.

Plus généralement, les femmes voilées qui s'expatrient restent lucides. Le racisme et les pratiques discriminatoires persistent, même dans les pays les plus ouverts. Certaines préfèrent opter pour un pays islamique et ouvert, comme les EAU. Mais pour toutes les candidates au départ, l'expatriation est une manière de montrer qu'il est possible de vivre à l'étranger avec le foulard. Elles inscrivent leur démarche dans un combat du quotidien pour plus de tolérance et de respect entre les personnes. De nombreuses expatriées regrettent cependant de devoir quitter leur pays pour vivre paisiblement, et alertent sur une fuite des cerveaux dont on parle encore peu.

Port du foulard en France : quels regards pour les Français et les étrangers de confession musulmane ?

En août 2023, peu avant la rentrée scolaire, Gabriel Attal, alors ministre de l'Éducation nationale, décide d'interdire l'abaya et le qamis, tenues traditionnelles portées par les hommes et les femmes. Pour Attal, ces robes longues sont un signe religieux. Devenu Premier ministre, il se félicite de sa mesure et « assume ». Problème : ces vêtements sont d'abord des tenues traditionnelles. De plus, il peut être difficile de les différencier d'autres robes longues. « L'affaire de l'abaya » est l'une des dernières ayant révélé une position française très stricte concernant sa conception de la laïcité. Une conception trop stricte et stigmatisante, selon les opposants à la mesure, pour les Français d'origine maghrébine et la communauté musulmane.

La France reste une terre d'immigration, mais a pris un « virage à droite » qui divise. Selon les sociologues Alice Picard, Julien Talpin et Olivier Esteves, les jeunes Français diplômés d'origine maghrébine et/ou de confession musulmane seraient de plus en plus nombreux à s'expatrier. Une expatriation faite contrainte. En France, ces diplômés disent subir de plus en plus d'attaques racistes et de discriminations à cause de leur religion et/ou de leurs origines. Discriminations en augmentation, selon eux, depuis les attaques terroristes. Depuis, chaque drame ravive les tensions. Ces expatriés parlent d'un climat islamophobe qui leur ferme toutes les portes, malgré leurs diplômes : difficulté à trouver un emploi, un logement… Les musulmanes voilées parlent de regards hostiles, de préjugés, de propos désobligeants.

Ces diplômés quittent la France pour le Luxembourg, l'Espagne, le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis ou des États islamiques « ouverts », comme les Émirats arabes unis (EAU). Une fuite des cerveaux encore trop peu étudiée, selon les sociologues. Car ce climat pourrait coûter de précieux points à la France, en poussant les étrangers diplômés de confession musulmane à choisir d'autres pays d'expatriation. Une mauvaise équation, alors que la France cherche à attirer davantage de talents étrangers.